Par Bertrand Viala

Des consultants du cabinet de conseil McKinsey viennent de publier un livre bestseller intitulé « Rewired » (« Reconnecté ») qui invite les organisations, et en particulier les sociétés commerciales, à repenser la façon dont elles ont conçu et mis en œuvre leur processus de transformation numérique. L’ouvrage se présente comme un manuel pour permettre aux organisations de réajuster leurs enjeux de transformation numérique, optimisée par les nouveaux outils de la Tech. Il a été établi sur une analyse de 200 cas d’études, où le rôle de l’intelligence artificielle (IA) est souvent mis en avant.

Les vieilles recettes ne fonctionneront plus

Selon les auteurs, les modèles pensés ces dernières années risquent l’obsolescence et ne permettront pas aux organisations de rester compétitives ou efficaces.

En effet, les auteurs insistent sur le fait que beaucoup d’entre elles ont limité leurs enjeux de transformation numérique à une logique d’achat uniformisée de logiciels et licences de plateformes en SaaS, souvent auprès des mêmes fournisseurs, renonçant ainsi à la possibilité d’avoir des outils différenciants et adaptés de façon spécifique à leurs usages. 

En réponse, l’étude mentionne que l’évolution tend essentiellement vers l’intégration de blocs de construction logiciel, de plus en plus disponibles et accessibles financièrement, permettant le développement en interne d’applications propriétaires.

Un tel développement est rendu possible par l’augmentation des capacités d’automatisation et de nouvelles technologies comme l’IA générative. Cette dernière, qui n’en est qu’à ses débuts pour le grand public, promet des gains de temps et une réduction de coûts colossale. Elle permet, entre autres choses, de mettre en place des approches low code en intégrant un plus large public dans le développement d’applicatifs personnalisés. Elle pourra améliorer encore le travail des développeurs en accélérant leurs tâches. De même, elle facilite la détection et la prise en compte de risques et de menaces de cybersécurité.

Savoir penser l’IA et la donnée : les piliers des enjeux de transformation numérique

Encore faudra-t-il être en mesure de pouvoir, comprendre, intégrer et piloter ces changements. Le minimum sera de réaliser un excellent diagnostic de ses outils, usages et compétences accessibles. Pour beaucoup de structures, cela passera nécessairement par l’achat de prestations d’AMO externalisée qui viendront compléter les ressources internes, le sujet étant complexe dans sa conception. Un des enjeux principaux de la transformation numérique, sans surprise lorsque l’on parle d’IA, est le point 5 de l’étude, intitulé « Embedding Data Everywhere », à savoir « Intégrer de la donnée partout ». Comme le rappellent les auteurs, une architecture de données pensée correctement permet la mise en œuvre de données de qualité, facilitant leur usage et leur recyclage : « C’est la condition essentielle qui permet de déployer le potentiel de l’IA » (« Only then can the power of AI be unleashed »).

L’étude étant menée par des consultants, l’ouvrage ne prétend à aucune exhaustivité ni aucune universalité, les auteurs étant conscients de la diversité des situations selon les secteurs et territoires concernés. Cependant, l’ouvrage pose très ouvertement la question que tout dirigeant se pose : comment maîtriser et optimiser son environnement numérique en 2023, dans un contexte de dématérialisation accélérée et de ruptures technologiques majeures ?

La transformation numérique peut être, pour rappel, résumée ainsi : elle est un processus permanent d’amélioration continue, axé sur l’intégration et l’optimisation les différentes technologies informatiques et logiciels du moment. L’objectif de ce processus, pour les organisations, est de leur permettre de réaliser leur mission de la façon la plus performante qu’il soit. De ce fait, les concepts et usages, sur lesquels la transition numérique s’appuie, ne peut plus se permettre de reproduire les méthodologies d’avant la pandémie.

Vision, valeurs et gouvernance : revenir aux bases des enjeux de transformation numérique

En revanche, réfléchir et redéfinir tout ce qui préside au fonctionnement, à la mission et à la philosophie d’une organisation, n’est certainement pas à sacrifier sur l’autel de la fascination technologique. Au contraire, dans un contexte de complexification et d’automatisation croissant, engager une actualisation de sa vision, de ses valeurs (quel type de numérique) et de sa gouvernance doit être le fondement de cette conduite de changement. S’abstenir de cet effort, c’est risquer de perdre le contrôle de son organisation et le sens de sa mission.

D’un point de vue plus pragmatique, cette démarche doit permettre d’interroger la façon dont l’évolution du système d’information va affecter la capacité de cette dernière à tenir ses objectifs, tout en maintenant et améliorant le niveau de service qu’elle fournit en interne et en externe. Les choix technologiques seront ensuite pilotés via les feuilles de route, les schémas directeurs et les cartographies applicatives issus de ce travail. 

Il faut donc revenir aux bases. Tout schéma de transformation numérique intégrera différentes étapes de questionnements, quelle que soit la méthodologie appliquée, comme le rappellent également les auteurs de Rewired dans leur introduction. Nous les résumons de façon très succincte ici :

1. La mission et le service fourni par l’organisation : processus qualité, gouvernance, vision et valeurs
2. Un diagnostic numérique interne : cartographie des matériels et applicatifs, inventaire des usages du numérique en interne, analyse de la gestion des données, revue de la cybersécurité
3. La préparation d’une feuille de route : recensement des choix technologiques, mise en perspective des arbitrages budgétaires, recensement des compétences internes ou à acquérir, pour permettre la réussite du processus.

Conclusion 

Il est essentiel, que ce soit pour les collectivités, les structures de l’ESS et les entreprises de prendre en compte la mesure des changements technologiques en cours pour être certain de rester en capacité d’agir auprès de ses administrés, bénéficiaires ou clients. L’enjeu n’est pas, bien sûr, uniquement une question de gouvernance interne ou d’indicateurs de performance satisfaisants. L’impact est sociétal. En effet, dans une période, où les situations de précarité numérique et d’illectronisme sont de plus en plus facteurs d’exclusion, les organisations engagées, quel que soit leur statut, portent la responsabilité induite de faciliter l’inclusion de leurs publics dans les nouveaux écosystèmes digitaux en cours. Les promesses de personnalisation accrues et de facilités d’accès de l’IA générative et du low code, peuvent permettre, si bien pensées, de maximiser les impacts positifs ; charge aux organisations engagées, de pouvoir mettre en œuvre ces changements en leur sein, en établissant les bons diagnostics. Il ne faut cependant pas sous-estimer les défis inhérents à cette promesse de réappropriation. Les structures concernées exerceront de grandes responsabilités en termes de cybersécurité, de cloisonnement des données et de conformité juridique, notamment concernant la question des consentements. Autant de raisons supplémentaires pour faire évoluer le paradigme de sa transition numérique.

Source : Lamarre, E., Smaje, K., Zemmel, R.W. (2023). Rewired. Wiley